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Le manifeste des chemises déchirées

Le manifeste des chemises déchirées

Les épisodes successifs de la mondialisation et de la récente crise économique de 2008-2009 ont ébranlé notre société. Le cynisme et le désintérêt témoignés par beaucoup de Québécoises et de Québécois rendent compte d'un fractionnement des classes sociales, d'une faillite de la sociale-démocratie, d'une faillite de l'État-providence québécois, d'une insécurité économique omniprésente dans toutes nos familles, d'une montée de l'extrémisme politique, de la perte des répères et des symboles nous unissant dans la société civile, ainsi que d'un émoussement de la qualité des services et des institutions publiques comme les systèmes de santé et d'éducation.

C'est la fin du modèle de société où le Québécois moyen trouvait un bon emploi avec un horaire fixe, des bonnes conditions de travail, un syndicat pour le défendre, des avantages sociaux lui permettant de mettre de l'argent de côté et une bonne pension pour ses vieux jours. Aujourd'hui, l'insécurité nous guette à chaque coin de rue et un simple faux-pas peut signifier la fin d'une carrière.

Ce manifeste des chemises déchirées tente de dresser un portrait de notre société au bord du gouffre; de comprendre quelles sont les causes qui ont précipité l'éclatement du modèle de marché de l'emploi, hérité de la révolution industrielle; d'expliquer la situation des gens faisant partie de cette nouvelle classe sociale, le "précariat", issue d'un contexte historique et économique bien précis; de démontrer qui sont les personnes les plus à risque d'entrer dans cette précarité de vie; d'expliquer pourquoi cette classe sociale s'agrandit d'année en année malgré des politiques économiques censées "créer de l'emploi et de la richesse"; de délimiter les différentes menaces du statu quo; et finalement, de proposer des solutions pour mettre fin à la destruction de nos valeurs de liberté, d'égalité et de fraternité.

Nous aimons tous notre Québec. Nous l'aimons des plaines de la Montérégie jusqu'à la toundra dénudée du Grand Nord. Nous l'aimons de la côte isolée du rocher Percé jusqu'à la vie urbaine d'un Montréal rempli de diversité. Nous aimons notre belle langue française, ce symbole de fraternité devant l'adversité, ce symbole unique en Amérique, résistant à tous les flots de la mondialisation et éclaboussant notre culture partout sur la planète. Nous aimons notre Québec des journées chaudes d'été, à se prélasser au bord de la piscine et à manger des mets grillés sur le barbecue, jusqu'aux rudes soirées d'hiver à danser au rythme des séries éliminatoires de hockey; notre religion nationale. Finalement, nous aimons la nation québécoise; ces grands citoyens qui travaillent dur, qui se révoltent gentiment et qui ne désirent qu'une seule chose: une belle vie simple sans être l'esclave de personne.

Ce manifeste proposera une série de positions ayant pour but de redorer l'image de ce grand Québec. Il essaiera de répondre aux insécurités qui nous habitent; il nous poussera à l'engagement social et politique; il remettra en question le statu quo qui nous dégoûte tant; il voudra nous insuffler un vent de courage afin de nous sortir de l'isolement et de l'aliénation; et il tentera de nous guérir de ce sentiment d'impuissance.

Qu'est-ce que le précariat et qui en fait partie?

La réponse est simple: tout le monde peut faire partie du précariat à un jour ou l'autre de sa vie. Que cela soit dû à la perte d'un emploi,  les mauvaises fortunes de notre vie qui nous empêchent d'avoir une sécurité financière, notre arrivée sur le marché de l'emploi qui ne répond pas à nos aspirations et sans oublier cette économie en plein changement qui nous prive de notre pension malgré le fait que nous ayons travaillé toute notre vie à mettre cet argent de côté.

Faire partie du précariat, c'est faire face à l'insécurité économique du marché de l'emploi en pleine métamorphose, c'est d'avoir une confiance minimale envers le capital ou l'état pour répondre à nos besoins et c'est se sentir en marge du contrat social censé garantir une réelle sécurité d'emploi en échange de notre loyauté et de notre surbordination. Ce contrat social est ce qui a rendu la sociale-démocratie si spéciale pour des générations de travailleurs. Ce contrat social est échu et il est temps de le renouveler pour le bien du précariat.

Le précariat, c'est les femmes atteintes du triple fardeau d'un travail où elles doivent performer, des enfants, d'un couple et d'un foyer à gérer, ainsi que l'aide qu'elles fournissent, en grande majorité, auprès de leurs parents et grands-parents en manque d'autonomie.

Le précariat, c'est les hommes qui sont les premiers à perdre leurs emplois lors des récessions et les derniers à ravoir un emploi lorsqu'il y a création d'emploi dans cette économie tertiaire; de services.

Le précariat, c'est les personnes âgées qui retournent sur le marché de l'emploi pour sortir de l'isolement et se sentir utile ou par dépit afin de pouvoir mettre du pain sur leur table.

Le précariat, c'est les minorités ethniques qui font face à de nombreuses barrières sur le marché de l'emploi, comme la discrimination à l'embauche et lors des mises à pieds massives.

Le précariat, c'est les personnes affectées d'handicaps physiques ou psychologiques, discriminées sur le marché de l'emploi et n'ayant pas les ressources adéquates pour faire face à leurs difficultés.

Le précariat, c'est les ex-détenus qui se retrouvent incapables de sortir de la précarité lorsqu'ils finissent leur sentence. Poussés dans la précarité, ce n'est qu'une question de temps avant qu'ils retournent en prison.

Le précariat, c'est les jeunes, ces nomades urbains, faisant face à un monde en perpétuel changement et se retrouvant devant le choix d'un emploi sans carrière et sans sécurité ou d'une éducation les enfermant dans l'enfer de la dette sans même leur garantir l'emploi qu'ils méritent.

Le précariat, c'est finalement ces armées de travailleurs temporaires, ces internes subventionnés par l'état mais ne recevant pas un sous, ces travailleurs à temps partiel ou à contrat n'ayant pas la capacité de joindre les deux bouts, ces contracteurs dépendants ou indépendants qui sont les premiers à souffrir lors des périodes de volatilité des marchés, et pour finir, ces chômeurs démonisés par toute une société qui recherche des coupables pour expliquer notre incapacité à "créer de la richesse".

Les causes de la précarité

Les causes de l'insécurité du précariat sont liées à la flexibilité du marché de l'emploi, un gain des entreprises au dépend des travailleurs, dans cette société de marché néo-libérale. Malheureusement pour l'ensemble des travailleurs, même les partis politiques sociaux-démocrates ont accepté cet état de fait, découlant de la mondialisation des marchés. La gauche et les progressistes sont incapable de trouver des solutions pour enrayer la précarisation et l'insécurité économique collées à la peau du précariat.

La flexibilité du marché de l'emploi, c'est de prendre les emplois comme si c'étaient des biens à échanger en bourse. Cette flexibilité se présente en plusieurs formes:

Elle est caractérisée par une flexibilité numéraire qui remplace les emplois salariés et bien protégés, par des contrats, l'utilisation de sous-contractants, l'utilisation de travailleurs temporaires, le remplacement des postes à temps plein par des postes à temps partiel et le déplacement de la production hors du pays ou dans une autre région.

C'est la flexibilité fonctionnelle et l'insécurité de l'emploi, qui forcent les employés à changer constamment leurs tâches, leurs projets ou la division où ils travaillent, ce qui augmente le stress de l'employé afin d'augmenter la productivité des entreprises.

C'est le démantèlement des structures et institutions contrôlant les régulations des professions et des métiers suivi d'une re-régulation centralisée par l'état. Ces changements font en compte de privatiser des secteurs d'emplois qui étaient protégés par des structures indépendantes avant, mais qui sont sujettes aux lois du marché aujourd'hui.

C'est la flexibilité des salaires et la restructuration des avantages sociaux, permettant d'assurer plus de stabilité aux riches travailleurs pendant que les plus précaires ont un revenu qui stagne depuis des décénnies en plus de ne pas avoir accès aux nouveaux avantages sociaux. De plus, nous faisons face à un culte des primes au rendement et des bonus, qui augmentent encore plus le nombre de personnes faisant partie du précariat en engraissant les récipiendaires de ces primes.

C'est les mise à pieds qui enferment les hommes et les femmes dans le piège du chômage, où ils sont démonisés par le reste de la société, et où ils doivent choisir entre accepter un emploi plus précaire ou rester sur le chômage dans l'espoir de trouver un autre emploi qui répondra à leurs aspirations et leurs qualifications.

C'est le démantèlement du secteur public, autrefois le bastion des emplois bien rémunérés et de bonnes conditions de travail, au profit d'emplois à contrats, de sous-contractants et d'emplois à temps partiels. Ce qui diminue la qualité des services offerts tout en augmentant les inégalités sociales dans la société. Nous le voyons dans les cliniques de soins privatisées et dans le cheminement scolaire de nos jeunes.

C'est l'avènement des politiques d'incitatifs fiscaux et des crédits d'impôts donnés aux entreprises par le gouvernement, dans le but de "stimuler le marché de l'emploi et la création de richesse", mais qui dans les faits, ne fait que donner l'opportunité d'engranger des bénéfices pour les propriétaires tandis que les salariés restent pris au piège de la réalité des emplois précaires.

C'est le "travail au noir", non réglementé par l'état, qui fait augmenter la productivité des compagnies tout en privant l'état des taxes. Encore une fois cela fait au dépend des salariés.

C'est finalement le déclin de la mobilité sociale, où notre système voit disparaître la majorité des emplois de la classe moyenne. Les inégalités augmentent et empêchent les salariés d'entrevoir des opportunités pour gravir les échelons vers des postes mieux rémunérés et avec une meilleure sécurité d'emploi.

Les problématiques du précariat

La mondialisation et la flexibilité du marché de l'emploi provoquent plusieurs effets chez les membres du précariat. Tout d'abord, les jeunes se trouvent face au piège de la précarité: Le fait de contracter d'énormes dettes en échange d'un diplôme et ce choix d'un emploi ayant un salaire avantageux - souvent pour payer la dette d'étude - ou d'un emploi reflétant leurs aspirations personnelles.

La situation crée aussi des tensions générationnelles entre les baby boomers et les générations millénaires, qui n'ont pas la même perspective sur le marché de l'emploi en plus de rejeter la faute de la précarité sur les comportements des différentes générations. Les jeunes disent que les plus vieux ont profité de l'environnement et d'une éducation pratiquement gratuite tandis que les plus vieux disent que les jeunes sont paresseux.

Le précariat souffre aussi de l'absence de cohésion au sein de cette nouvelle classe sociale, d'un manque de participation au débat public et surtout de l'ignorance des médias et des politiciens quant à leurs besoins au niveau de l'éducation, du marché de l'emploi ou des services publics.

Le précariat, c'est aussi le retour sur le marché de l'emploi de nombreux retraités, souvent en dépit d'une vie de dur labeur, afin de pallier à la destruction de leur fonds de retraite par les différentes politiques néolibérales. Ces retraités prennent souvent des emplois qui pourraient être occupés par les nouvelles générations de travailleurs et augmentent, en nivelant par le bas, la précarisation du précariat.

Finalement, ces différentes problématiques ont provoqué la remise en cause de notre rapport avec le travail, l'emploi et le temps.

Le travail, l'emploi et le temps

Avec la mondialisation, la flexibilité du marché de l'emploi, l'avènement de la société de marché, l'omniprésence d'internet, la destruction des emplois traditionnels et la fin de la société industrielle est venue la transformation de notre rapport au travail, à l'emploi et au au temps lui-même.

Pour commencer, le travail n'a jamais, avant la société industrielle, été synonyme d'emploi. C'est une déformation qui déguise d'énormes formes d'inégalités et qui est symbole d'insécurité pour le précariat.

Le travail est censé nous aider à construire ensemble une fraternité civile qui unit l'ensemble de la société. Le travail, c'est le labeur que nous fournissons dans un emploi, mais aussi le travail que nous utilisons dans nos loisirs, dans nos passe-temps, dans notre engagement social, dans notre engagement politique, dans l'acquisition de compétences, dans l'acquisition de connaissances, le travail que nous faisons afin de décrocher un emploi, le travail que nous faisons afin d'acquérir des comportements et des attitudes conformes au marché de l'emploi axé sur les services, c'est le travail que nous faisons afin d'avoir une éthique de vie qui nous permet de bien fonctionner dans la société; comme tenir à jour nos finances et apprendre à gérer le stress dans notre vie précaire ou connaître nos droits en tant que travailleurs et citoyens, c'est aussi le temps que mettons à faire nos tâches dans notre foyer, le temps alloué à nos enfants, notre famille, notre couple et aussi nos aînés qui ont besoin d'aide.

Tout ce labeur investi autour de nous, et sur nous, est complètement ignoré lorsque nous discutons d'économie et de précarité dans les débats publics. Et pourtant, c'est une énorme source d'inégalités, d'insécurité et signe d'une société malade. Les personnes ayant une sécurité économique peuvent certainement trouver des moyens d'avoir du soutien ou carrément de payer pour ne pas avoir à utiliser leur propre travail afin de remplir ces obligations, mais pour le précariat, c'est tout le contraire.

Notre incapacité à percevoir ces inégalités entraîne de nouveaux comportements. Tout d'abord, le phénomène de "multitâches" où les personnes jonglent avec tellement de devoirs et responsabilités qu'elles les négligent tous également. Ensuite, la connectivité, avec internet, où les personnes remplacent leurs interactions physiques avec une illusion de contact en plus de promouvoir l'isolement, la dépression et le gaspillage du temps. Enfin, tout le temps nécessaire au précariat à travailler pour un salaire moindre, travailler pour trouver un emploi, travailler pour nos proches ou pour entretenir nos finances, tout ce travail, qui augmente sans cesse, à un impact sur notre rapport au temps. 

Le rapport au temps, subit trois pressions. Tout d'abord, la baisse du temps de qualité consacré aux loisirs d'enrichissement culturel; comme apprécier la littérature, la bonne musique, aller à un concert, apprendre sur notre histoire, aller au théâtre et participer aux activités dans notre communauté. Le temps nous échappe même dans le cas où nous sommes disponibles, car le stress dû à la précarité et l'insécurité est éreintant pour beaucoup d'entre nous.

Pour continuer, le précariat est presque totalement absent de la vie politique et sociale. C'est ce cynisme et ce désintérêt auxquels les commentateurs n'arrêtent pas d'attribuer un haut taux d'abstention à chaque élection. En fait, le précariat, s'il daigne aller voter, le fera principalement pour des candidats qui semblent authentiques ou charismatiques; c'est l'essence de la politique spectacle. Le précariat n'a pas le temps ni l'intérêt de bien s'informer.

Pour finir, le précariat souffre d'une perte de contrôle sur l'utilisation de son temps. Les membres du précariat semblent avoir la vie devant eux, mais dans les faits ils ne sont tout simplement pas en contrôle. Ils travaillent sur des horaires changeant, subissent diverses formes d'insécurité et n'ont simplement pas de stratégie pour bien allouer leurs temps libres. Tout ceci découle de la société tertiaire, de services, qui a détruit tous les modèles d'horaires fixes qui imposaient une structure aux générations précédentes.

Ce rapport au temps nous emprisonne dans une routine travail-métro-boulot-dodo au dépens de nos propres aspirations, nous mène vers une culture du "chilling" où les gens se regroupent pour perdre leur temps et où les individus sont poussés vers des formes de divertissement passives comme la télévision sans contenu au dépens des formes plus actives de loisirs de qualité.

Cette perte de contrôle sur le temps est synonyme d'un déficit des loisirs de qualité et une attitude aphasique, même sur le marché de l'emploi. Il s'agit d'un autre piège de la précarité. Qui plus est, le précariat n'a pas les moyens pour s'approprier des milieux pour les loisirs. Le démantèlement de l'état, c'est aussi la vente des infrastructures permettant aux plus pauvres d'avoir des espaces publics de qualité pour des loisirs de qualité, l'engagement social et l'engagement politique.

Les menaces d'entretenir le précariat dans une constante insécurité

Le statut du précariat encourage les gouvernements à brimer les droits et libertés de ses citoyens, marginalise une énorme partie de la société et pousse le précariat à s'identifier aux discours populistes de politiciens ainsi qu'aux discours des démagogues.

Un des moyens, pour l'état, de contrôler les comportements du précariat est de se tourner vers une vision utilitariste de la société appelée "la société panopticon". Il s'agit d'une méthode poussant le précariat à se conformer à différents comportements afin d'avoir droit aux diverses ressources offertes par l'état. Par exemple, forcer les chômeurs à choisir un emploi qui ne leur convient pas afin de toucher leurs diverses allocations d'aide à l'emploi. La technique est déjà en utilisation présentement et est discutée par nos politiciens ici, au Québec.

Ensuite, il y a les diverses invasions de la vie privée afin de ficher les individus comme des "profiteurs". Ces pratiques sont des atteintes aux droits et libertés puisque qu'elles créent des catégories de citoyens. De plus ces pratiques coûtent très cher à l'État, n’encouragent nullement le précariat à se conformer, l’enferment dans le piège de la précarité et surtout, n'ont aucun impact significatif sur le marché de l'emploi.

Pour continuer, les institutions scolaires utilisent de plus en plus des méthodes électroniques afin d'enseigner, de monitoriser, discipliner et évaluer les étudiants, ce qui isole le précariat tout en enfreignant très souvent les libertés individuelles. L'éducation est vue comme une marchandise et comme une manière de former des travailleurs plutôt que des citoyens éclairés.

Une autre méthode utilisée, c'est le fichage des individus. Les entreprises sont à la recherche de comportements conformes à leur idée d'un bon travailleur. Bien que nous ayons des lois encadrant la discrimination à l'embauche, ce fichage entraîne des inégalités, notamment lorsque les compagnies refusent des candidatures, par exemple, à cause d'un mauvais crédit. Les "déviants" se trouvent ainsi discriminés malgré les lois censées les protéger.

Ensuite, une pratique en vogue est celle où l'État donne des services conditionnellement à des comportements recherchés chez le précariat; chez les chômeurs par exemple. Cette technique libertarienne et paternaliste brime directement les libertés des individus affectés, les enfermant dans une logique diminuant leur contrôle de leur temps et les forçant à travailler pour des services auxquels ils ont droit. Ce travail n'apporte rien à la productivité et augmente le déficit des loisirs chez le précariat. C'est l'essence de l'architecture des choix, de plus en plus utilisée partout sur la planète.

Pour continuer, l'État modifie ses politiques sociales en se basant sur un indice du bonheur. Cette tyrannie du bonheur se retrouve dans les médias et les débats publics et sous-entend que les individus sont heureux grâce à leur emploi. C'est un non-sens pour le précariat car le stress et l'insécurité gangrènent toutes les sphères de leur vie. Ainsi, lorsque le précariat dit qu'il souffre, on lui rétorque: "tu devrais être heureux, t'as une job".

Enfin, ces politiques ne font que diaboliser le précariat en rejetant la faute de la précarité sur nos comportements. Les politiques et les médias nous poussent à entreprendre des thérapies afin d'apprendre à vivre avec notre stress et modifier nos comportements et nos attitudes; ils nous demandent d'aimer des emplois qui ne correspondent pas à nos aspirations; et ils nous poussent à travailler pour avoir des services assurés par l'état. Tout ceci pousse le précariat dans l'isolement et dans la marginalisation.

Pour finir, ces politiques néo-fascistes, cette médiatisation poubelle de diabolisation du précariat et la perte de nos droits et libertés nous poussent vers les discours politiques extrémistes comme ceux du Tea Party aux États-Unis et du Front National en France. Le précariat recherche, chez le politique, des figures charismatiques et authentiques. C'est ce qui explique la montée des divers partis d'extrême droite partout en occident. Partout sans exception. C'est aussi pourquoi l'enjeu du niqab a eu tellement de succès dans la dernière campagne électorale canadienne, tout comme la charte des valeurs a provoqué énormément de débats au Québec en 2014.

Jusqu'où les politiques et les médias pousseront-ils le précariat? Déjà, des mouvements citoyens anti-immigration et néo-fascistes comme Pégida sont déjà en train d'unir des citoyens dans le refuge de la haine envers l'étranger. C'est notre devoir de citoyen d'éveiller les consciences, d'attraper la balle au bond et de proposer quelque chose pour ces âmes en perdition.

Les propositions des chemises déchirées

Les chemises déchirées veulent mettre un frein à la situation du précariat. Pour ce faire, nous devons reprendre en main les principes démocratiques et les valeurs si chères à notre société: liberté, fraternité et solidarité. Nous devons combattre les atteintes à la liberté, faire revivre la solidarité sociale et l'universalité des institutions publiques, ramener l'éducation au centre de notre projet de société et s'assurer que tous les citoyens soient égaux devant la loi et dans la sphère publique. Il faut que le précariat se trouve une voix, et qu'elle soit entendue.

Pour ce faire, les chemises déchirées proposent:

D'universaliser tous les programmes sociaux, l'éducation et la santé comme ils devraient l'être devant la loi. De mettre fin aux ingérences du privé dans ces institutions et les soustraire aux logiques de marché. Surtout, mettre fin aux pratiques libertariennes et paternalistes de l'état. Cette architecture du choix.

De s'attaquer à la crise identitaire en investissant dans l'intégration des immigrants, des minorités visibles, des autochtones et des réfugiés, en créant des structures pouvant accélérer la reconnaissance des acquis et en les aidant à intégrer le marché de l'emploi dans les domaines auxquels ils aspirent.

De sauver l'éducation de l'enfer de la logique de marché. Les universités et les collèges ne sont pas des lieux où l'apprentissage des métiers, de l'entrepreneurship, des affaires et des logiques de marché devraient primer mais des lieux de savoir où les étudiants devraient être mis en contact avec des gens de tous les milieux et de tous les âges et qui font un équilibre entre la quête des connaissances, l'apprentissage de la vie et surtout la découverte de la pensée critique.

De mettre un frein à cette logique autoritaire qui associe le travail à l'emploi. Nous devons reprendre contrôle de notre temps afin de pouvoir l'investir dans les loisirs de qualité, l'engagement politique et l'engagement social.

De mettre fin aux incitatifs fiscaux et aux crédits d'impôts pour les entreprises afin de les soumettre réellement aux lois du marché, tout en évitant de pousser les chômeurs vers des emplois qu'ils ne veulent pas. Si le milieu de l'emploi est si attrayant, c'est l'employeur qui doit se soumettre en proposant des emplois qui satisferont les travailleurs. Autrement, c'est la logique soviétique qui primera: "ils font semblant de nous payer, nous faisons semblant de travailler."

D'accepter que les emplois ne soient pas le centre de nos vies et qu'ils ne nous représentent pas en tant qu'individu. Nous devons valoriser toutes les autres formes de travail. C'est une liberté inaccessible pour le précariat et qui entretient nombre d'inégalités.

Que l'état doit s'assurer que les conditions de travail des travailleurs soient conformes et que leurs droits soient assurés, tout comme leur accès aux services sociaux. Il faut mettre un frein à la re-régulation du marché de l'emploi qui ne fait qu'augmenter les inégalités.

Que le précariat doit se reconnaître, se regrouper en agences, en associations et en syndicats, afin de faire valoir ses demandes et ses droits à la société civile et au gouvernement. Le précariat doit se trouver une voix et doit l'utiliser.

De faire revivre l'égalité au sein de la société. Dans une société tertiaire en plein changement, le précariat doit ravoir une certaine liberté économique, un contrôle de son temps, des espaces civiques de qualités, un accès aux lieux de savoir et un accès au capital.

Un revenu minimum garanti par l'État et accessible à tous, sans distinction et sans conditionnement des comportements. L'État n'aura qu'à augmenter les impôts des plus riches et mettre fin aux politiques fiscales qui entretiennent l'insécurité économique du précariat. Le revenu minimum garanti est un symbole incroyable de sécurité financière. Il fera en sorte de promouvoir l'engagement et donnera le coup de pouce nécessaire au précariat.

Une redistribution de la sécurité économique au sein de la société. C'est cette insécurité chronique qui piège le précariat dans une vie de misère.

Une redistribution du capital financier avec, notamment, une taxe sur le gain en capital. La grande majorité de l'élite doit sa fortune à leurs parents et/ou grâce au travail fait par la société québécoise. Il est tout à fait légitime de redonner une partie de ce capital à l'ensemble de la société.

De reprendre contrôle de son temps afin que le précariat puisse mettre du temps à ses propres aspirations et non pas se conformer aux visées d'une élite cherchant à les manipuler par l'architecture du choix.

De s'attaquer à la mauvaise distribution des espaces publics de qualité afin de mettre fin au saccage de nos écosystèmes, mettre fin au déficit de loisirs et d'avoir la possibilité de remettre l'engagement politique au centre de la place publique. Le tout pour s'attaquer aux inégalités sociales et mettre fin aux dérives extrémistes.

De mettre fin à cet ère de matérialisme et d'individualisme chronique, poussant les individus à se comporter de manière opportuniste, déviante et facilement corruptible. Nous devons promouvoir les valeurs d'ouverture, d'universalisme et d'altruisme.

Le précariat n'est pas une victime, un vilain à abattre ou un héros, le précariat c'est une classe sociale en plein essor et qui se cherche une voix. C'est aujourd'hui qu'il est temps d'agir avant qu'il ne soit trop tard.

** le manifeste se base sur la lecture de Guy Standing - The Precariat, the new dangerous class **

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