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Les larmes d'un réactionnaire incompris

Les larmes d'un réactionnaire incompris

Les médias nous ont parlé en long et en large de tous ces réactionnaires. Les biens-pensants, les élitistes, les politiques, les bobos et les militants progressistes en font un portrait sombre. Le but est simple, affubler les intellectuels anti-libéraux d'une étiquette "joue le jeu de l'extrême droite" afin d'éviter d'être confronté à un débat d'idées. Éric Zemmour et "Le suicide français", malgré ses délires freudiens, nous donne une lecture de 40 ans du libéralisme qui cache quelques critiques tout à fait recevables si nous avons l'intégrité intellectuelle et si nous nous donnons la peine de faire la recherche. 

Sur la forme, le livre est un journal de bord suivant les événements de mai 68, la chute politique du gaulisme et du colbertisme, l'influence de l'ère Reagan-Thatcher, l'avancée inviolable du libéralisme, la création de la banque centrale européenne, le traité de Maastricht et jusqu'à la ratification anti-démocratique de la constitution européenne pour soumettre les Français à l'oligarchie de la zone euro. Le livre tire dans tous les sens et il est difficile à suivre, il n'a pas beaucoup de références et il est écrit de manière sobre avec quelques essais de prose mal réussis. C'est le cri du coeur d'un Zemmour qui préfèrerait revenir aux valeurs de la Famille, de l'État, la Nation et du Père afin de renverser les dégâts de la mondialisation et du libéralisme. 

En tant que socialiste libertaire et anti-libéral, critiquant sans cesse tous les types d'idéalisme (communisme, fascisme et libéralisme) basés sur la morale moralisatrice chrétienne, je suis d'accord sur certains constats mais en total désaccord avec les solutions à envisager. Ceci dit, "le suicide français" donne très peu de pistes de solution car il s'agit d'une dissection du libéralisme sous toutes ses formes.

Les délires freudiens

Pour commencer, Zemmour part en guerre contre une foule de groupes marginaux et avec une analyse freudienne complètement erronée. Tout le monde y passe: les lobbies féministes, le rôle de l'homme, le rôle de la femme, la femme sur le marché de l'emploi, la sexualisation et l'hypersexualisation de la femme, la subversion dans l'art, les symboles de féminisation de la société dans la musique, le cinéma et l'art, les lobbies LGBT et antiraciste, la santé publique, la politique des prénoms approuvés par l'état français, la démonisation des immigrants et du multiculturalisme, ainsi qu'un amalgame douteux entre les libéraux de tout acabit aux libertaires. Ses analyses ont, la plupart du temps, un élément de vrai dans le fond, mais ceux-ci sont, pour le lecteur moyen, plutôt difficile à repérer. Il est bien plus facile pour l'apparatchik progressiste d'éviter de discourir sur le libéralisme en citant ses merveilleuses phrases misogynes afin de faire taire la critique. Soit. Ce faisant, le dialogue de sourd entre les différentes strates de la société se poursuit et le front national monte dans les sondages.

La politique et l'économie 

La première critique centrale repose sur le concept de social-démocratie, du libéralisme accaparé autant par les socialistes que les conservateurs dans les gouvernements successifs, de la libéralisation des marchés, de la financiarisation de l'économie, de l'instrumentalisation des luttes sociales et des politiques guerrières de la France. Ainsi la mondialisation n'est pas le rêve d'une main invisible qui alloue les moyens de productions de manière à favoriser la productivité, mais plutôt une business pour faire de l'argent. Le gouvernement français (comme partout en occident) est gouverné par les juristes, les technocrates, les banquiers, les hauts fonctionnaires, les bureaucrates et une oligarchie qui gravite autour des banques centrales. Cette libéralisation du marché favorise une urbanisation néo-libérale d'étalement urbain, le culte de l'automobile, l'accroissement des inégalités sociales, la perte des espaces agricoles, la destruction des politiques de l'aménagement du territoire français, la désindustrialisation au profit des économies émergentes, la corruption des biens et services; une révolution Wal-Mart - l'augmentation de la malbouffe, du chômage, de la pauvreté, du repli sur soi des habitants des banlieues et une tertiarisation de l'économie. C'est la fin de l'ère industrielle et du rêve américain prolétaire pour la jeunesse d'aujourd'hui et l'apparition du précariat comme nouvelle classe sociale.

Avec mai 68 est venu la fin du règne de la Nation et avec vînt le fractionnement de la société en individualisme sauvage: le retour du tous contre tous. Le libéralisme se goinfre d'une telle réalité car le politique et l'économie instrumentalise les luttes sociales dans une optique clientéliste. La société de marché est partout et la lutte sociale vaincra seulement s'il y a un gain économique ou politique à faire. C'est la loi du plus fort. Ce clientélisme accroît les inégalités et augmentent la corruption; c'est une perversion des luttes sociales.

Dans son délire homophobe, Zemmour lance une flèche en direction du phénomène de gestation pour autrui (GPA). En effet, l'effet pervers du libéralisme est d'évacuer du débat public toutes les notions de bioéthique qui se rattache à cette pratique. En pavant ce procédé de l'étiquette féministe du "droit à la filiation génétique", nous sommes d'accord avec l'idée des fermes de femmes indiennes qui enfantent pour les riches occidentaux (Justice, what's the right thing to do - Michael J. Sandel). Le libéralisme ne fait que faire perdurer les inégalités sociales même si le discours public dit le contraire.

La mondialisation et la financiarisation de l'économie, c'est aussi la fuite des capitaux vers l'étranger, la course effrénée aux fusions et acquisitions, le fédéralisme européen qui re-réglemente l'économie au profit des multinationales, l'obligation pour les gouvernements de subventionner les grandes entreprises à défaut de les voir faire faillite ou de déplacer ses usines à l'extérieur, les déficits commerciaux face aux marchés émergents, l'entrée massive d'immigration pour faire diminuer les coûts de productions, la précarisation de l'emploi et les pertes d'emplois massives. Pourtant, lorsque les gouvernements vantent la mondialisation, ils le font en prêchant : "Paix, prospérité, compétitivité et création d'emplois".

Le libéralisme, c'est aussi la cause première de cette pensée selon laquelle l'occident est la police du monde et doit intervenir afin de "semer la démocratie". L'idée vient directement du néo-conservatisme américain, bien entendu, mais les Français (même les Canadiens) ont participé à quelques-unes des interventions militaires qui ne font que créer encore plus de désordre: Libye, Syrie, Irak et Afghanistan pour ne pas les nommer.

Finalement, nos libéraux finissent en vendant l'utopie concrète des villes-monde. Des centre urbains où l'élite se déplace afin de valser avec l'oligarchie des banques centrales. Ces villes-monde sont les bassins où les bourgeois et les bobos sont rois et maîtres en ayant comme effet d'embourgeoiser et gentrifier les quartiers au dépend des travailleurs poussés dans les banlieues. Les publicitaires, les journalistes, les créateurs de mode, les intermittents du spectacle, les enseignants, les petits fonctionnaires, les chercheurs, les universitaire, etc, généralement plus progressistes, sont le vecteur principal de cet embourgeoisement.

La culture libérale et la médiocratie

Un parallèle étonnant peut être fait entre le livre de Zemmour et le livre "Médiocratie" d'Alain Denault. En effet, le libéralisme et sa perception de la justice en morale moralisatrice (comme dirait Miche Onfray) se trouve partout sur l'espace public et surtout dans les médias. Le culte de l'image, la dictature du discours public par les émotions et les cotes d'écoute, le politically correct et la censure qui vient avec, la politique spectacle, l'incapacité de voir l'histoire sur le long terme en étant accroché aux canaux de nouvelles en continu, les dogmes de l'historiographie dominante, la culture de victimisation pour s'accaparer l'espace public, la libéralisation des écoles avec l'apparition des "business schools", la perversion de l'art qui devient de l'art pour faire de l'art et de l'argent tout en oubliant l'esthétique, le sublime ou la réelle subversion et l'essor des "charity business" qui sont des machines à faire de fric, sont tous des sujets où l'élément commun est la médiocratie de la société; le nivellement par le bas; la fin de l'exceptionnel pour se satisfaire du moyen et du immangeable.

Malgré les discours homophobes et misogyne, Zemmour met le doigt sur un énorme problème qui est la perte des modèles féminins et masculins pour les jeunes. Que cela aie à voir avec l'hypersexualisation, les rôles, la famille, l'équité et l'égalité sur le marché de l'emploi, la société est en manque de modèle. Le libéralisme et sa destruction des anciens modèles de réussite créa un nihilisme enivrant pour certains et délétère pour la majorité. Cette émancipation est bénéfique (malgré ce que Zemmour en pense) mais rien n'a été construit, pour le moment, afin de remplacer ce vide.

Le peuple et la jeunesse mondialisée

Pour finir, le but du libéralisme et de la mondialisation était d'implanter un utilitarisme économique et politique qui favoriserait l'eugénisme social - le bonheur pour tous - malheureusement, il ne suffit pas que de "changer le monde" pour arriver à changer l'homme, il faut aussi que cet eugénisme soit accompagné par une révolution existentielle et radicale de l'homme; se changer soi-même. Le libéralisme, c'est aussi, l'échec de la laïcité à la française, les gouvernements sociale-démocrate, socialiste, conservateur, libéral et autres qui trahissent tour à tour les jeunes générations, l'islam qui pose un défi autant en sol occidental qu'au moyen-orient et finalement la création de trois jeunesses qui s'opposent en occident: la jeunesse libérale et diplômés, la jeunesse immigrante chômeuse et les prolétaires et précaires vivant dans les régions et sous-éduqués. Les premiers défendent les seconds, les seconds sont atteints du repli sur soi et les derniers, majoritaires, pourraient élire le front national. 

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