Chronologie d'un conflit historique: l'Islam contre l'Islam
La religion musulmane est riche d'une culture et de valeurs qui ont survécu plus de mille ans d'histoire et de conflits. Elle est un symbole d'identité pour plus 1,5 milliard de personnes sur la planète. Malgré tout, chaque semaine, chaque mois et chaque année, des attentats au Pakistan ont lieu dans des lieux de culte, en Inde les musulmans s'affrontent entre eux et subissent les violences de la majorité hindoue, en Irak et en Syrie nous voyons depuis plus de cinq ans s'affronter, dans une violente guerre civile, une multitude de musulmans se divisant selon leur appartenance ethnique, religieuse et même politique, au Liban, en Palestine et au Bahreïn, les combats ont lieu dans une logique de libération nationale face à une majorité supérieure en force et au Yémen les chiites affrontent présentement l'armée saoudienne et ses alliés afin de prendre possession des richesses pétrolières. D'où viennent ces conflits? Sont-ils inévitables? Comment l'Occident doit agir dans cette Réalité qui nous dépasse? Qui est cet Autre, cet étranger qui nous fait si peur? Je ne prends pas pour un spécialiste de la religion musulmane et je préfère raconté l'histoire de cette culture et baser ma lecture géopolitique du Moyen-Orient par la voix d'Antoine Sfeir et de son livre "l'Islam contre l'Islam".
Histoire d'un schisme: le sunnisme et le chiitisme
C'est à la mort du Prophète en 632 que la fracture entre deux visions de l'Islam se forme. D'un côté, certains pensent que le successeur du Prophète doit être choisi au sein de sa famille (ils deviendront les chiites) et les autres déterminent plutôt qu'il doit être choisi par la cooptation du plus digne (ils deviendront les sunnites). Dès l'an 656, la première guerre fratricide éclate entre les deux courants religieux. À travers les siècles, les deux courants formeront une identité propre, des cultures, des rites et des langues qui s'exprimeront par des spécificités propres à chacun de ces courants.
Aujourd'hui, 90% des musulmans forment une majorité dite sunnite, 9% une minorité chiite et 1% des musulmans se sépare entre divers courants minoritaires incluant les chiites septimains, les khajirites, les ismaéliens et d'autres courants non-reconnus par le sunnisme.
Il faut comprendre que l'Islam est inséparable de la sphère politique au Moyen-Orient. Selon Sfeir, c'est sous l'idée que l'Islam est une manière de vivre spirituellement, politiquement et socialement que l'ensemble de la communauté musulmane (l'Oumma) peut se rassembler. Par contre, la vision des rites religieux, de la succession du Prophète, des questions juridiques et savantes, de l'importance du clergé et de l'assemblage des institutions politiques et sociales forment les grandes différences au sein des courants au sein de l'Islam.
Ainsi, les conflits et les guerres du Moyen-Orient ont des racines: religieuses, ethniques, géopolitiques, stratégiques et économiques. Sfeir souligne qu' "un adage levantin rappelle qu'il n'est pas de guerre possible au Proche-Orient sans l'Égypte, comme il n'existe pas de paix possible dans cette région sans la Syrie." L'histoire moderne de ces conflits remontent à deux moments clés de l'histoire de la région: la fin du califat sunnite et les accords Sykes-Picot en premier lieu, la création d'Israël, la fin guerre froide, l'accession à l'indépendance de certains États-nations et la révolution iranienne en second lieu.
Premier temps: l'après première guerre mondiale
Deux événements surviennent suite à la fin de la première guerre mondiale. Tout d'abord, la séparation des frontières du Moyen-Orient entre la France et l'Angleterre par l'accort Sykes-Picot s'effectue en ne prenant pas compte des réalités ethniques, culturelles et religieuses de l'Irak, du Liban, de la Syrie et de la Turquie. Cette réalité est instrumentalisée par les puissances régionales, internationales et par Daech dans le cas de la guerre qui a lieu en Syrie et en Irak.
Ensuite, l'abolition du dernier califat sunnite, celui d'Atatürk par Mustafa Kemal et l'assemblée turque provoque un vide spirituel dans le monde sunnite. En effet, c'est le calife qui est sensé parler pour l'Islam sunnite dans son ensemble. Dès lors, les mufti religieux, les quatre écoles religieuses et juridiques (malékites, chaféites, hanbalites et hanafites) prennent le relais mais sans réel unification de la religion musulmane. Le paroxysme de cette réalité se perçoit aujourd'hui dans la facilité d'utilisation de cette spécificité religieuse par les intérêts saoudiennes exportant le wahhabisme ou les organisations fondamentalistes salafistes et terroristes comme Daech et Al-Qaïda qui promeuvent des interprétations littérales et rigoristes des textes sacrés à des fins politiques et géostratégiques.
Ainsi, les puissances sunnites de la région comme l'Égypte, la Turquie, l'Arabie-Saoudite et le Pakistan agissent leurs pions en tentant prendre possession de ce capital religieux et s'imposant comme le "Vatican du sunnisme" selon Sfeir. Ce jeu de scène s'effectue par les voies politiques, diplomatiques, militaires, religieuses, économiques et géostratégiques. C'est aussi l'idéal présenté par le "califat islamique" de Daech.
Il faut tout de même souligner l'exception du Maroc, où le roi du Maroc est historiquement un sultan chérifien (noble) sunnite, représentant et descendant de la famille du prophète. Il donc pourvue du pouvoir de représentation des croyants.
Deuxième temps: la deuxième guerre et la guerre froide
Le deuxième moment clé derrière les conflits au Moyen-Orient repose tout d'abord sur la création de l'État d'Israël suite à la deuxième guerre mondiale. Cet événement suscite encore aujourd'hui l'ire de la population musulmane et renforce le sentiment de victimisation vécu par les musulmans tout en augmentant le réflexe identitaire et nationalisme s'opposant aux Occidentaux. De plus, c'est après la fin de la guerre froide que nombre de pays musulmans ont accédé à l'indépendance. Ce regain de démocratie les amène à devoir se trouver une identité, construite, qu'on le veuille ou non, autour de la religion, des réalités ethnoculturelles et en opposition avec les intérêts occidentaux.
Pour continuer, l'affirmation nationale de l'Iran lors de la révolution iranienne remet en valeur la spécificité chiite car leur constitution est dans les faits une théocratie où le pouvoir des mollahs et des ayatollahs, formant le clergé iranien, est centrale au pouvoir politique de l'Iran. Cette affirmation religieuse permet à l'Iran d'agir comme un pôle culturel, économique et politique pour les chiites de tout le Moyen-Orient augmentant son influence régional et permettant de se défendre face à la Turquie et l'Arabie-Saoudite entourent la nation iranienne.
L'état des lieux actuels
Il faut comprendre que les guerres qui font rage au Moyen-Orient procèdent parce qu'il y a une recalibration des zones géostratégiques dans toute la région selon les intérêts politiques, économiques, religieux et ethniques. L'enjeu clé de la guerre syrienne est la route séparant Damas et Alep, où la majorité des ressources pétrolières cheminent.
À propos des mouvements fondamentalistes, Sfeir évoque le cas des frères musulmans en Égypte et en Syrie en plus du mouvement wahhabite qui augmentent l'hostilité de la région envers les chiites, l'Iran et qui a provoqué l'apparition de certains groupes de rebelles au régime de Bachar Al-Assad en Syrie. Il ne faut pas oublier que le régime Assad est alaouite,c un allié objectif des chiites en Iran.
Du côté du Koweït, de l'Arabie-Saoudite et de l'Irak, la population chiite vit de l'insécurité au sein d'une majorité sunnite, ils se regroupent autour des zones pétrolières. En Syrie, au Liban, en Turquie et au Yémen, les chiites se rassemblent dans les montagnes et en Irak dans les marécages du sud. Il y a donc une polarisation des populations autour de l'identité religieuse.
Pour continuer, les conflits au Moyen-Orient sont instrumentalisés par les puissances régionales et internationales afin de sécuriser les ressources naturelles des pays en conflit.
En Irak et au Liban, les conflits se basent aussi sur un enjeu de libération national souvent rapproprie par les mouvements fondamentalistes faisant valoir des intérêts religieux et culturels. En Syrie, la logique de libération est revendiqué par les sunnites, les chrétiens et les laïcs séculiers.
Finalement, pour Antoine Sfeir, c'est surtout le droit d'ingérence occidental qui menace le principe fondamental de la souveraineté des États au Moyen-Orient. La reconfiguration du Proche-Orient et du Moyen-Orient est impossible à éviter et ce droit d'ingérence augmente les chances d'un embrasement généralisé dans la région.
Sfeir commence le livre "l'Islam contre l'Islam" en disant: "Chaque fois que l'homme s'est senti supérieur à un autre, cela a abouti à une tragédie; chaque fois qu'un clan, une tribu a convoité les biens et les richesses d'un autre clan ou d'une autre tribu, cela a fini par un massacre.
Chaque fois que la force s'est exprimée, elle l'a fait au détriment de l'individu, des peuples, et du droit; mais chaque fois que le droit a voulu s'imposer, il s'est montré impuissant face à la force.
Chaque fois que l'homme, dans l'histoire de l'humanité, s'est pris pour Dieu ou s'en est proclamé le porte-parole, ce fut la catastrophe.
Rien n'a changé au cours des siècles."
Tant que la vision orientaliste primera et qu'elle provoquera un interventionnisme direct au Moyen-Orient et que la force prévaudra sur le droit à la souveraineté de ces nations, il est plutôt présomptueux de prévoir un dénouement à ces conflits.
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