Il existe de ces
personnes dont nous pouvons dire qu'elles sont formées, sculptées,
construites par l'histoire et ses événements qui en parcours le
chemin. Il n'est pas exagéré de dire qu'il s'agit d'une vérité
dans le cas d'Éric Arthur Blair, mieux connu sous le nom de George
Orwell. Il fût tour à tour un petit bourgeois sans le sou devenu
sergent dans la police impériale birmane, et donc, représentant du
colonialisme britannique; journaliste émérite de la condition
ouvrière, des mal famés, des gens dans la dèche, des fous et des
mécréants; auteur de deux romans meilleurs vendeurs dans le monde –
1984 et la ferme des animaux; essayiste socialiste démocrate ou
anarchiste tory selon ses heures, critique intempestif de ses
contemporains et de la littérature populaire, militant engagé et
combattant durant la guerre civile d'Espagne.
C'est ainsi qu'en
traçant le parcours de la vie d'Orwell l'on peut pressentir les
trois grands axes qui délimitent la surface de son oeuvre : les
rapports de classes dans les démocraties et dans les colonies
britanniques, la question de la vérité et de la représentation
dans les médias de masse, puis tous les liens à faire entre
l'expérience totalitaire et les formes de bureaucratie qui dominent
nos sociétés.
Les rapports de
classe dans l'empire britannique
Dès son enfance
dans un pensionnat, il est mis face à face avec les rapports de
classe; c'est un des boursiers de son école préparatoire, donc le
plus pauvre d'une centaine de jeunes. Ça ne l'empêchera pas de
sortir du collège Eton – le meilleur d'Angleterre – avec cette
attitude paternaliste qu'il accolera 15 ans plus tard aux « membres
de l'intelligentsia de gauche » dans ses nombreux essais à
contenu politique. Mais le rêve impérialiste est brisé car dans
son périple de cinq années en Birmanie, les charmes de la
répression et de la tyrannie finissent par lui donner des hauts le
coeur. C'est un homme solitaire et taciturne qui ressort changé de
son expérience coloniale. Un épisode formateur pour un petit
bourgeois qui se croyait le roi du monde.
Il revient donc de
son poste métamorphosé et entreprend une carrière de journaliste
et romancier; son rêve d'enfant. Il publie des reportages sur les
pensionnats pour sans-abris, les asiles, les prisons, les « working
houses » britanniques, il écrit sur la condition des ouvriers
dans le nord de l'Angleterre, sur la vie comme employé d'hôtels et
chômeur à Paris et Londres, et il fait même une nouvelle de son
expérience en Birmanie. Durant sa jeune vingtaine, et ce dès son
retour de Birmanie, George Orwell – qui prendra son nom en 1933 –
fait de la question de la misère et de la pauvreté, de la question
des rapports de classe entre ouvriers et patrons, son seul et unique
engagement social, politique et artistique.
Propagande et guerre
La guerre civile
d'Espagne, entre les fascistes et le front antifasciste, est une
guerre qui se situe à la charnière de deux époques : d'un
côté le misérabilisme et la barbarie des guerres de tranchés, et
de l'autre, celle de l'apparition et l'utilisation des médias de
masse comme puissance de frappe formidable. Pour Orwell, il s'agit
surtout du moment dans sa vie où plusieurs rêves sont brisés; le
premier étant celui de la possibilité de voir triompher la vérité
dans les médias de masse.
Il part donc à
Barcelone pour s'inscrire dans une milice communiste. Il y combat au
front durant plus ou moins un an pendant que les communistes proche
du comintern souhaitent voir triompher Franco et que les libéraux
finissent par emprisonner les soldats de la milice où Orwell était
engagée... Les mensonges de la propagande et les luttes politiques
intestines auront eu raison de l'idéal populaire de la révolution
Espagnole et « Homage To Catalonia » sera un magnifique
et vibrant témoignage d'un combattant de la liberté désillusionné.
Durant les combats
en Espagne, mais aussi lorsque les bombes pleuvent sur Londres,
Orwell tient un journal de ses impressions sur la propagande, la
publicité, l'effet des nouvelles sur la morale des Anglais, l'état
général du marché alimentaire et des pénuries, ainsi que la
censure des médias anglais. Les contradictions dont flagrantes, la
raison d'État rend toute notion de vérité ou d'objectivité
impossible à vérifier. Il en développera tous les tenants et
aboutissants dans ses deux grands romans, après la fin de la guerre.
Malgré tout, en voyant les fascistes de l'autre côté de la Tamise,
Orwell, anarchiste, choisit le patriotisme. Tout est une question de
contexte.
Les bureaucrates
dans le rêve totalitaire
Que cela soit dans
l'expérience coloniale birmane et sa répression, le nazisme
hitlérien et la shoah, le fascisme à la sauce Mussolini ou Franco,
ou encore, les goulags staliniens, il y une constante dans la
banalité du mal et c'est la construction d'une bureaucratie
atomisante, destructrice, terrifiante, aliénante, dés-humanisante.
C'est ce que mettra en avant Orwell tout le restant de sa vie à
travers son oeuvre. Ainsi, l'aboutissement ultime de sa vie et de sa
courte carrière d'intellectuel, c'est une oeuvre mélangeant les
réflexions sur l'appauvrissement du langage et de l'histoire, sur
la violence sous plusieurs formes qu'on peut appliquer à un
individu, sur la guerre et comment elle est vécue sur le champs de
bataille; une oeuvre qui aura marqué et qui marque encore des
générations entières de jeunes révoltés.
Prenez 1984 et la ferme des animaux, vous y avez presque toutes ses réflexions sur ces trois enjeux: un soutien indéfectible aux classes populaires, une critique acerbe de la notion d'objectivité dans les médias de masse et une crainte face à tous les contrôles de type totalitaire qui se dessinent avec les progrès technologiques. Mais malgré tout, comme Winston l'écrit : « If there is hope, it lies in the proles ».
Prenez 1984 et la ferme des animaux, vous y avez presque toutes ses réflexions sur ces trois enjeux: un soutien indéfectible aux classes populaires, une critique acerbe de la notion d'objectivité dans les médias de masse et une crainte face à tous les contrôles de type totalitaire qui se dessinent avec les progrès technologiques. Mais malgré tout, comme Winston l'écrit : « If there is hope, it lies in the proles ».
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