« Ce sont
plutôt les « bons » eux-mêmes, c'est-à-dire les
nobles, les puissants, les supérieurs en position et en pensée qui
ont éprouvé et posé leur façon de faire en eux-mêmes comme bons,
c'est-à-dire excellents, par contraste avec tout ce qui est bas, bas
d'esprit, vulgaire et populacier. » - Nietzsche, généalogie
de la morale
Au menu médiatique,
chaos à l'intermarché durant une promotion de 70% pour le nutella,
commentaires de mononcles aux tribunes de radio x, rire gras en face
du grugeage de piscine à la résidence des jeannettes, mais surtout,
le diagnostic de l'homme blanc hétéro-cissexiste-privilégié; un
mépris de classe nouveau genre fait une percée marquée depuis
l'apparition des médias sociaux. La mondialisation à fait ses
vainqueurs et défaits ses vaincus. Plus rien ne va dans les communs,
les grands récits sont morts en même temps que Dieu et l'Homme, la
crise de la culture endémique poursuit son travail de démolition
consumériste, le marché bouffe les idéologies pour en recracher
des symboles dénoués de substance... mais tout lisse, tout frais,
tout chaud, tout exquis, tout exotique, tout nouveau; vantés par nos
sublimes vedettes « normales ». Les fractures sociales
deviennent des chocs de cultures, les entre-soi de consommation
foisonnent, la représentativité politique est à son plus bas
depuis la grande époque indépendantiste, la censure devient une
« bonne » solution pour les écoliers maniant les
« identity politics »; le pluralisme dans le débat
public est mis à mal sous tous les fronts.
Nous vivons une
époque hystérique et hystérisante. Nous baignons dans le pathos et
la moraline à longueur de journée. Il s'agit d'une Renaissance du
puritanisme; néo-puritanisme malsain pour nos démocraties
occidentales. Le bien public se trouve déclassé par un
hyper-individualisme et une médiocratie prenant tout l'espace
disponible dans nos institutions.
Nous voyons
aujourd'hui l'émergence d'une aristocratie fondée sur
l'entrepreneurship et le langage de la gouvernance, la culture du
bien-être consumériste et ses exigences de performance, une
hiérarchie éducative et son psittacisme académique, et une
reproduction sociale nourrit par ces entre-soi mondains, urbains,
cosmopolites « ouvert sur le monde ». Haro! à ces
pauvres indigents, nous devons faire la guerre contre la
« stupidité », valoriser la « pensée critique »,
débusquer les « fakes news », mettre au silence la
populace qui ne sait pas penser « comme il le faut », et
finalement, mettre au fer les « réactionnaires » qui
« ne font que perpétuer le statu quo ».
Aristocratie de
médiocres
« Alors que
toute morale noble procède d'un dire-oui triomphant à soi-même, la
morale des esclaves dit non d'emblée à un « extérieur »,
à un « autrement », à un non-soi »; et c'est ce
non-là qui est son acte créateur. Ce retournement du regard
évaluateur, cette nécessité pour lui de se diriger vers
l'extérieur au lieu de revenir sur soi appartient en propre au
ressentiment : pour naître, la morale des esclaves a toujours
besoin d'un monde extérieur, d'un contre-monde, elle a besoin, en
termes psychologiques, de stimuli extérieurs pour agir; son action
est fondamentalement réaction. C'est l'inverse qui se passe dans le
mode d'évaluation noble : il agit et croît spontanément, il
ne cherche son antithèse que pour se dire un oui à lui-même,
encore plus reconnaissant, encore plus jubilatoire.» - Nietzsche,
généalogie de la morale
Dans généalogie de
la morale, Nietzsche nous amène vers l'origine du « bon »
et du « mauvais », chez les Grecs de l'antiquité. Le principe
de base était simple; le noble est bon et l'esclave mauvais, mais il
arriva à travers l'histoire une série d'événements,de
retournements de valeurs, de mutations, modifiant, altérant et
dénaturant cette classification morale de multiples manières. Cette
série d'événements n'est pas en soi importante bien entendu; ce
qui est marquant de la démonstration de Nietzsche, c'est l'effet de
la morale sur nos sociétés de masses occidentales et ses individus
atomisés.
Transposons :
nous voyons aujourd'hui ces élites sociales, ces bobos urbains,
s'investir, par exotisme, de symboles et de valeurs propres aux
hommes du ressentiment. Loin de nous l'époque des grands hommes
politiques, des grands intellectuels, des statures imposantes, ces
autorités, ces exemples de virtù romaine. Ils sont morts en mai 68.
Ce qu'il nous reste, c'est une adolescence perpétuelle, une révolte
constante sans objet et un ressentiment partagé chez toute la
population. Comment peut-on être en place d'autorité, former une
aristocratie, assurer une reproduction sociale éducative, et se
présenter en tant que modèle à suivre, tout en mettant de l'avant
ces discours et instincts propres aux bassesses des hommes du
ressentiment? On ne peut pas un point c'est tout. La faille du
raisonnement de ces « élites bien-pensantes » se
retrouve en eux-mêmes; nos « nobles » d'aujourd'hui sont
médiocres et valorisent la médiocrité jusqu'au conformisme.
Vous avez parlé de
virtù romaine?
« La virtù
est incandescence » - Michel Onfray, sculpture de soi
Pour Michel Onfray,
la figure « noble » moderne aurait les traits d'un
Condottiere : « pour ce qu'il me permet dans le
registre de l'éthique ». Il serait « une figure
d'excellence, un emblème de la Renaissance qui associe le calme et
la force, la quiétude et la détermination, le tempérament artiste
et la volonté de régner sur soi avant tout autre forme d'empire.»
- Michel Onfray, Sculpture de soi
De telles figures
tendent toujours à exister bien entendu. C'est le propre de la
volonté de puissance de rejaillir chaque fois qu'elle se retrouve
emprisonnée, exclue, abandonnée, amoindrie, violentée, torturée,
isolée, mutilée. Ces individualités d'exceptions pullulent encore
autour de nous. Elles nous poussent à être meilleur que nous le
sommes. Elles insufflent en nous une force qu'on ne croyait pas
posséder. Elles mènent par l'exemple et l'action; non pas par les
sentiments et l'affect.
Elles existent
encore, mais se retrouvent souvent aux endroits où on s'y attend le
moins. À vous de les débusquer pour en tracer le portrait.
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